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Lumière couleur plaisir

L’exposition « Raoul Dufy, l’ivresse de la couleur » à l’Hôtel de Caumont offre la possibilité de redécouvrir un artiste virtuose de la période moderne (1877-1953). Son œuvre variée et abondante présente des manières originales d’aborder la couleur et la lumière, en s’affranchissant de la hiérarchie des genres et des techniques aussi bien que de la représentation.

Raoul Dufy, Paysage du Midi au figuier de Barbarie, vers 1920
Raoul Dufy, Paysage du Midi au figuier de Barbarie, vers 1920

Commençons par la fin, celle qui relie étroitement Raoul Dufy à Forcalquier – comme en témoignent le boulevard qui porte son nom et la reproduction peinte sous le passage des Cordeliers. Commençons par son installation, à l’âge de soixante-quinze ans, au Mas Chanu sur la route de Digne (derrière l’actuel hypermarché). Raoul Dufy vécut là de septembre 1952 à sa mort en mars 1953. Il était venu chercher l’air sec pour soulager les douleurs de sa polyarthrite. Connu pour avoir peint la Riviera et ses paysages maritimes, il découvre tardivement la haute Provence, à propos de laquelle il écrit : « Le paysage est très simple et grandiose à la fois. » Avant de rendre l’âme au printemps, au bout de sept mois seulement, il aurait demandé à son secrétaire d’ouvrir les fenêtres pour contempler les collines une dernière fois.

À bas la hiérarchie


Le travail de Raoul Dufy présenté dans l’exposition témoigne de la liberté de cet artiste. Pas de celle qui nie l’influence et l’importance de ses maîtres – Cézanne en premier lieu, dont l’héritage est franchement assumé et réapproprié. Mais de celle qui s’affranchit des hiérarchies inutiles entre les genres et les techniques, permettant à toutes les pratiques d’enrichir sa peinture. Huile, aquarelle, dessin, gravure sur bois, céramique ou encore illustration de livres, l’artiste s’est emparé de chacune de ces techniques avec le même sérieux enjoué. Le Bouquet d’iris et de coquelicots séduit par exemple par la maîtrise du motif floral, dont il est devenu spécialiste à force d’en peindre en grand nombre pour des entreprises textiles et des soieries lyonnaises. Les arabesques et les ellipses, le jeu des couleurs sont sublimés par un art subtil de la synthèse.

Raoul Dufy, Bouquet d’iris et de coquelicots, vers 1948
Raoul Dufy, Bouquet d’iris et de coquelicots, vers 1948

La théorie de la « lumière couleur »

La liberté de Raoul Dufy se trouve aussi dans l’invention d’un style propre, qui émerge au début des années 1920 : la couleur et le dessin sont indépendants, les formes sont simplifiées et la composition refuse toute perspective classique. S’affranchissant de la représentation réaliste, dans la lignée de ses prédécesseurs, Dufy développe sa théorie de la « lumière couleur » : « À suivre la lumière solaire, on perd son temps. La lumière de la peinture, c’est tout autre chose : c’est une lumière de répartition, de composition, une lumière couleur. » En clair, Raoul Dufy dépose des aplats de couleurs vives qui déborderont des contours qu’il vient ensuite tracer au pinceau noir. Les objets sont ainsi souvent divisés en zones d’ombre et de lumière, l’artiste faisant abstraction totale de ce qu’il appelle le « ton local », c’est-à-dire la couleur propre d’un objet, en dehors des effets de la lumière.

Raoul Dufy, Régates aux mouettes, vers 1930, huile sur toile.
Raoul Dufy, Régates aux mouettes, vers 1930, huile sur toile.

Ne pas bouder son plaisir

À contre-courant du cliché de l’artiste déprimé à l’imaginaire torturé, Dufy peint des œuvres aux sujets légers et plaisants, qui procurent des sensations immédiates de plaisir et de joie : baigneuses en bord de mer, régates, fêtes nautiques... Ces choix lui ont parfois valu d’être sous-estimé. Pourtant, dans ses tableaux colorés et vivants, légèreté ne rime jamais avec facilité, au contraire. Dans les scènes qu’il peint, la virtuosité technique et le travail exceptionnel de la couleur sont là pour restituer ses sensations et son rapport enchanté au réel. Avec un goût assumé pour la jouissance : « Puissent ceux qui aiment la peinture, la mer en été et les femmes en costume de bain y trouver quelque plaisir », souhaitait ainsi cet artiste hédoniste.


Hôtel de Caumont centre d’art • Aix-en-Provence • jusqu’au 18 septembre 2022

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