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Aurore Pélisson : « Je fabrique des pièces organiques, qui s’inscrivent dans le cycle de la vie »

Artiste textile, Aurore Pélisson est née en 1987, a grandi dans le Luberon et a installé récemment son atelier à Saint-Étienne-les-Orgues. Elle réalise des pièces textiles uniques qu’elle teint à la main avec des teintures à base de plantes. Mi-sorcière, mi-fée, elle prépare elle-même ses recettes dans ses chaudrons pour créer des œuvres oniriques.


Aurore Pélisson, chemise de la série Terre (pièce unique).
Aurore Pélisson, chemise de la série Terre (pièce unique).

Comment en êtes-vous venue à pratiquer la teinture végétale ?

Mon sens artistique s’est d’abord forgé dans un rapport étroit à la nature. Je suis issue d’une famille d’agriculteurs. J’ai grandi en ville mais j'ai passé toutes mes vacances à la campagne, à courir dans les champs entre Gordes, Joucas et Roussillon. Ma famille m’a transmis un regard poétique et riche sur la nature. Elle me l’a montrée comme quelque chose d’extraordinairement beau. Notre musée, nos tableaux à nous, c’étaient les paysages.

Ensuite, j’ai fait des études aux Beaux-Arts de Lyon en design textile. Alors qu’au départ, je me destinais plutôt à l’illustration, je me suis retrouvée, un peu par hasard, dans la section mode, où j’ai étudié l’illustration sur textile et le motif. J’ai commencé à travailler comme freelance en dessinant des motifs qui étaient scannés et envoyés en Chine pour impression. Cela ne me plaisait pas du tout. J’ai alors compris qu’il me fallait un atelier personnel où je réaliserais mes pièces de A à Z, parce que la matière et le geste sont ce qu’il y a de plus important pour moi.


Dans mon premier atelier, ouvert à Avignon en 2011, je me suis lancée dans des œuvres assez grandioses, et en parallèle j’ai réalisé des étoles parce que j’aimais l’idée que les gens puissent porter au quotidien une de mes pièces. Ils emmènent ainsi avec eux un petit bout de l’imaginaire et du rêve que je convoque dans mes créations. Depuis, je réalise des pièces textiles uniques – soit à porter comme vêtement, soit à poser au mur – et des installations.


Comment choisissez-vous vos matériaux ?

La teinture végétale, qui utilise les plantes comme colorants naturels, est une technique ancienne qui a disparu en 1856, lorsque William Perkin a inventé la première molécule colorante de synthèse. Aujourd’hui, on y revient de plus en plus parce que l’industrie de la teinture est l’une des industries les plus polluantes au monde. Même les grandes marques de luxe se tournent maintenant vers la teinture végétale.


Il s’agit d’une technique qui est en recherche et en évolution permanente. L’un de ses plus grands spécialistes, Michel Garcia, est historien : il lit des textes anciens, à la recherche de recettes, mais comme celles-ci étaient parfois secrètes, il les retrouve souvent dans des textes manuscrits ou notes de bas de page qu’il faut déchiffrer. En plus, les recettes anciennes contiennent beaucoup de produits chimiques ou des ingrédients comme des urines macérées… Aujourd’hui, on essaye de trouver des recettes non polluantes et utilisant le moins de ressources possibles.


Quels sont vos gestes et procédés de création ?

Ce sont avant tout les techniques et les ingrédients qui guident mon travail. Maintenant que je vis à Saint-Étienne-les-Orgues, je peux faire mes propres cueillettes et travailler à partir d’elles. Une plante, une saison, vont déterminer le sens que va prendre la création, même si ce n’est pas forcément ce que j’avais décidé au départ, ou la tendance du moment.

J’ai longtemps fait de la teinture en bain, et en ce moment je suis en train de fabriquer des encres. Dans mes recherches, je prends parfois des directions inattendues. Je travaille beaucoup en partant du geste, et des erreurs. Je veux montrer que les pièces que je fabrique portent la marque de la main de l’artisan. C’est le plus important pour moi : que l’on sente que ce sont des pièces organiques, qui s’inscrivent dans le cycle de la vie, à l’inverse de la dématérialisation et de l’aseptisation que vit notre société. Je recherche la matière, le vécu, le vivant, la terre. Parlez-nous de votre dernière création.

C'est une série de quatre chemises que j’ai appelée « Terre ». Je suis passée de la réalisation de chemises et de robes aux motifs très fins et contrôlés, à quelque chose de plus brut, avec un lâcher-prise total. Je suis maintenant dans une phase très brute, j’en ai besoin. Je travaille avec des draps anciens récupérés, en coton ou en lin. Pour cette série, je suis allée dans une forêt, j’ai mis mes draps par terre, et j’ai pris l’empreinte de la terre. J’ai teint quatre chemises et deux draps ce jour-là. Mes draps sont mes tableaux, et mes pièces à porter sont fabriquées en symbiose avec eux. J’ai préparé des encres avec du mordant de fer et de l’alun. Le mordant est ce qui permet à la couleur d’accrocher au textile. Celui-ci est ensuite plongé dans un bain de noix de galle, une excroissance que je ramasse sur les chênes. Le motif abstrait naît de l’observation de la nature au niveau macroscopique ou microscopique. Je recherche une forme d’épure, le détail qui émerge au milieu du flou. Je suis influencée par des peintres comme Rothko, Turner et en ce moment je me replonge dans l’œuvre de Simon Hantaï.

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